L’esprit de la forme
Oleg Bourov
tue 12 Apr – sat 25 Jun 2016
Oleg Bourov
Au début des années 1980, à une époque où dans son pays, il était difficile d’être un artiste libre, Oleg Bourov a quitté Moscou pour venir s’installer à Paris puis à Auvers-sur-Oise.Depuis, en dehors des modes et des actualités éphémères, il poursuit la même quête ; celle de donner une représentation personnelle de la figure humaine.
Ses sculptures semblent reliées dans leur forme par un fil mystérieux qui conduirait de la statuaire préhistorique à l’art égyptien et Byzantin. Les bronzes et terre cuites présentés ici témoignent d’une recherche esthétique qui pose son assise sur une démarche spirituelle et intemporelle.
Dans un livre au titre énigmatique, Le Colosse de Maroussi*, Henry Milller trace le portrait de sa rencontre enchantée avec la Grèce. Ce colosse n’a rien de commun avec celui, ô combien mythique qui trônait selon les archéologues à l’entrée du port de Rhodes ou avec un Kouros oublié et encore à découvrir dans une carrière de marbre sur une île des Cyclades balayée par le Meltem. Non, Maroussi est un quartier périphérique et poussiéreux d’Athènes et le géant du lieu s’appelle Georges Katsimbalis. Ce personnage haut en couleur, écrivain et conteur, devient pour Miller, une incarnation de l’âme grecque. Par sa faconde, ses attitudes, Katsimbalis est à lui tout seul, le ciel bleu au-dessus de Mycènes, la musique d’Homère et de Séféris, les Mystères d’Éleusis, l’ouzo frappé et les nuits de velours de l’Attique.
Oleg Bourov serait une sorte de colosse dont les territoires se situeraient dans une Russie mythique, qui par son art de sculpteur nous renverrait à un répertoire de formes et d’émotions venues de Byzance, d’Égypte et bien plus loin encore, du Paléolithique. Il incarnerait, au-delà des frontières et des siècles le fil qui relie les hommes dans la représentation symbolique de leur présence au monde. La sculpture n’est pas chez lui une pratique qui se soucierait des modes et des mouvements artistiques pour traduire une réalité apparente par des concepts ou un maniérisme, c’est une attitude spirituelle et une interrogation devant le monde et sa transcription. Par une recherche d’équilibre des lignes et des volumes, des matières, des lumières et une obstination à vouloir décliner une même figure pour en extraire sa quintessence, il pourrait faire penser à l’auteur anonyme de la Dame à la capuche** qui, il y a plus de 25 000 ans sculptait dans l’ivoire, un des premiers portraits de l’humanité. La présence magique d’une telle œuvre, rentre mystérieusement en résonance avec les têtes et les corps féminins d’Oleg Bourov, non seulement parce que l’on peut discerner une ressemblance sur un plan formel, mais aussi et surtout parce que, au-delà de la figuration, c’est une vision cosmique qui nous est offerte. Paradoxalement, les représentations qu’on pensait pouvoir enfermer dans un registre figuratif relèvent plus d’une abstraction ; la forme est devenue une révélation de l’esprit de l’artiste.
Jean-Pierre Plundr
- Henry Miller. “Le colosse de Maroussi”. Éditions du Chêne. 1958.
**“La Dame à la capuche” ou Dame de Brassempouy est un fragment d’une statuette en ivoire datant du Paléolithique. On peut la voir au Musée d’archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye.