Sur pointes

Ballet historique fondé par Roland Petit en 1972, le Ballet National de Marseille interroge aujourd’hui, sous l’impulsion d’un étonnant duo ‒ le danseur italien Emio Greco et le metteur en scène néerlandais Pieter C. Scholten ‒ le corps sous deux angles : « le corps en révolte » et le « corps du ballet ». À travers les deux pièces “Pointless” et “Momentum”, Sur pointes questionne ce motif légendaire qui contredit la gravité, dessine les silhouettes légères et gracieuses des danseuses, déforme et tord les pieds de douleur. Ici vocabulaires classique et post-moderne entrent en jeu, et les chorégraphes posent les jalons d’un ballet résolument contemporain.

DANS LA PRESSE
« Pointless de Jeroen Verbruggen offre une forme néoclassique, par son harmonie de tulles et de pointes sagement rompus au labeur du mouvement gracieux. Une élégance qui prend sa source dans les chevilles, centre de gravité des danseurs du BNM prompts à se déplacer au plateau avec une technique qui frôle le sublime. Mais celle-ci ne se suffit évidemment pas à elle-même et Verbruggen parvient à brosser de géniales saynètes sur l’abnégation requise pour évoluer sur ces chaussons qui fascinent tant. Ironique et enjoué, l’œuvre glisse peu à peu vers une décadence où les artistes s’affranchissent allègrement des contraintes et font voler en éclat les codes inhérents au ballet sur fond de Rachmaninov ou Debussy. Au point de briser l’image d’une danse aérienne et céleste, à laquelle se substitue sans mal une véritable libération des corps plongés au beau milieu d’une scénographie qui emprunte au kitsch de l’univers d’anticipation.

L’autre volet du programme émane d’Emio Greco et Pieter Scholten. Momentum joue sur l’épure d’une scène immaculée, livrée à la prouesse d’un mouvement qui s’évanouit perpétuellement. La danse évanescente de cette création possède quelque chose d’instinctif, où le travail sur pointe s’ancre davantage dans le sol qu’il ne cherche à tutoyer les cieux. C’est aussi un mouvement à bout de souffle, qu’Emio Greco chorégraphie en scindant deux groupes de danseurs, dont la majorité reste de dos, capuche sur la tête, en fond de scène face à la projection d’un étendard blanc flottant au vent. Chant du cygne ou augure d’un renouveau, Momentum n’ancre pas la pointe dans le marbre du répertoire mais le caractère éphémère et mouvant de la danse. La mise en abyme de l’œuvre de Greco et Scholten apparaît en filigrane par l’effet de vases communicants de la pièce. La pointe issue du classique sert l’approche contemporaine, de part en part et ouvre encore davantage le champ des possibles. Elle renouvelle une réflexion passionnante sur l’histoire de la danse, en utilisant avec audace symboles et signifiants. »
Géraldine Pigault – www.magmaa.fr – 30 novembre 2016