Rumeur et petits jours
Raoul Collectif
tue 21 Nov – fri 24 Nov 2017
Raoul Collectif
Années 1970. C’est la 347ème et dernière d’Epigraphe, émission diffusée sur les ondes du service public et vouée à disparaître suite à une décision venue d’en haut. Les cinq chroniqueurs radio sont en quête de beauté. La beauté du langage, de la pensée, de l’esprit collectif et des utopies, à se défendre bec et ongle face à l’aliénation grandissante d’une société néo‐libérale incarnée sur le plateau par la séductrice TINA (There Is No Alternative). Avec un humour jubilatoire qui n’appartient qu’à eux, le collectif belge cherche les fissures d’un modèle social rigide et austère qui tente de nous faire oublier que des possibles, il y en a… et qu’il suffit de les inventer.
NOTE D’INTENTION
Le soleil est symbole de la vie, pour nous comme pour d’autres. Juchés sur les ruines d’un édifice que l’on n’a pas construit, nous scrutons l’horizon. D’aucuns disent qu’il faut se battre, d’autres qu’il faut s’enfuir. C’est à cette lisière que se trouveraient nos intentions artistiques et intellectuelles : entre la tentation d’aller chercher le soleil ailleurs et la volonté de lutter ici contre le froid.
Ce froid, nous le ressentons dans les évolutions du système néo-libéral. Parmi celles-ci, l’impression d’un monde où tout s’envisage de manière individuelle, au détriment de mouvements collectifs. Notre société contemporaine sublime l’individu et érige la réussite personnelle en but ultime de toute activité, dans tous les domaines. Elle a beau nous faire miroiter une plus grande liberté, nous ne sommes pas dupes : cette idéologie est au service d’une logique capitaliste qui incite les individus à croire que l’existence est une compétition où chacun est en concurrence avec l’autre. « La société n’existe pas, il n’y a que des hommes, des femmes et des familles », nous racontait Margaret Thatcher. Nous avons bien peur que cette interprétation du monde ait pris le pas sur d’autres, se soit répandue de façon diffuse, implicite, et que nous l’ayons à présent entièrement incorporée.
Pourtant nous croyons qu’il existe encore, ailleurs ou dans l’Histoire, d’autres manières d’envisager le monde. Entre la naissance et la mort, la vie se développe au contact de ceux qui nous entourent. Ne sommes-nous pas, depuis l’origine de l’humanité, réunis en groupe - ne serait-ce que pour se raconter des histoires? Assurément, l’Histoire n’est qu’une série de récits auxquels nous accordons plus ou moins de crédit. Des groupes et des histoires, il y en aura toujours - nous croyons même que l’un n’ira jamais sans l’autre.
En définitive, chacun d’entre nous appartient à plusieurs groupes à la fois. Alors pourquoi, aujourd’hui, le groupe semble-t-il vaincu? Notre génération n’a pas connu de grands mouvements collectifs. Et pourtant l’appartenance communautaire et l’engagement politique font peur, comme s’ils étaient un frein aux libertés individuelles, à l’émancipation. Nous pensons cependant que ce n’est pas tant l’individualisme qui a terrassé le groupe, mais bien certains groupes, qui pour prendre le pouvoir sur d’autres, ont prôné l’individualisme et la méritocratie. Reste à savoir pourquoi quand certains gagnent, d’autres perdent, et surtout comment. A quoi peut-on attribuer l’échec d’un groupe, ou sa réussite, dans l’accomplissement de ses objectifs? C’est ce que nous tenterons de mettre à l’épreuve dans notre prochaine création en questionnant le groupe dans sa nature et dans son fonctionnement, aussi bien dans ce qu’il porte d’utopie et d’idéal social que dans ses limites, ses échecs et ses violences. De la même manière que l’idéologie individualiste est une arme pour imposer une vision du monde, nous désirons nous servir du groupe pour questionner nos certitudes et proposer d’autres manières d’appréhender le réel.
Il se peut bien que cette démarche soit vaine, de la même façon que nous pouvons nous interroger sur l’opportunité de « mûrir dans la glace ». Quand bien même il serait appelé à échouer, le groupe nous semble encore le meilleur moyen d’agir. C’est en son sein que se loge la possibilité de créer des alternatives aux histoires que l’on voudrait nous faire croire. Il n’est pas anodin de constater que parmi les premières mesures instaurées par un état totalitaire figure toujours en haut lieu l’interdiction de réunion. Mûrir dans la glace : voilà peut-être une manière de faire de la résistance.
Enfin, nous avons l’intention de questionner « notre » groupe, cette communauté occidentale dont nous faisons partie : celle des dominants, des vainqueurs, celle qui semble avoir imposé sa vision du monde aux quatre coins du globe. Nous reste à décrypter cette vision, à déceler l’endroit où elle s’est intégrée en nous, pour établir qu’elle n’a rien d’infaillible ni d’inévitable. « Nous cherchons tous le ptérodactyle qui nous emmènera dans une réalité mieux adaptée à nos désirs que celle qui nous est imposée », nous écrivait Raoul Vaneigem à propos de notre voyage mexicain. Ce à quoi nous ajoutons qu’en dépit de l’abondance des nouveaux moyens de communication et de notre ultra-connectivité constante aux « informations » de la planète, notre univers quotidien est pauvre en histoires extraordinaires.
A l’image du ptérodactyle, nous souhaitons que ce spectacle fasse ressurgir des histoires : celles qui ont été oubliées, celles qui existent loin d’ici, et celles que nous inventerons pour les opposer, comme autant de grains de sable jetés dans les rouages d’un rouleau compresseur, au conformisme de la pensée dominante.
Raoul Collectif
de et par Raoul Collectif (Romain David, Jérôme De Falloise, David Murgia, Benoît Piret, Jean‐Baptiste Szézot) - assistante à la mise en scène Yaël Steinmann - création son Julien Courroye - régie son en alternance Julien Courroye, Benoît Pelé - direction technique et création lumière Philippe Orivel - régie lumière en alternance Isabelle Derr, Nicolas Marty, Philippe Orivel - costumes Natacha Belova - © Céline Chariot