Frasques en fresque
Roland Shön
ven 09 oct 2015 – sam 25 juin 2016
Roland Shön
Vent de fraîcheur pataphysique
Dans l’univers du spectacle vivant, Roland Shön n’est pas un inconnu. On lui doit de nombreuses créations où son invention est sans limites. Gyromances, Ni fini ni infini, Visites obliques, nous ont éblouis par un univers entre farces métaphysiques, rêveries sur les mathématiques floues, et transmutations joyeuses du langage. Représentant exclusif en France de la Fondation Volter Notzing* et frère de cœur du peintre Loxias, adepte de l’art Coucou, Roland Shön est un artiste multidimensionnel sans pourtant adhérer aux théories d’Herbert Marcuse. Plus proche de la pataphysique que du structuralisme idéologique, il est à la fois metteur en scène, comédien, écrivain, musicien, marionnettiste, et peintre. C’est dans ce costume qu’il donnera un air de frasques à la nouvelle Fresque tout en conservant ses multiples panoplies en réserve. Un vent de fraîcheur va souffler, venant de tous les coins de la pensée, dans le couloir de L’-Théâtre des Arts.
- Volter Notzing est un fameux explorateur ayant découvert les franges de l’invisible.
À PROPOS DE ROLAND SHÖN
« Je suis né à la fin d’une guerre, dans le coin gauche du bas de la France. Maintenant, c’est pas loin de sa pointe du haut que j’ai encore le plaisir de me sentir contemporain. J’ai passé beaucoup de temps à vivre le moins mal possible et pas mal aussi à faire deux métiers. De la psychiatrie, dans un Hôpital de Jour accueillant des enfants autistes, jusqu’en 1999. Et du théâtre, à partir de 1973 avec l’Atelier de l’Arcouest, puis en créant en 1978 une compagnie professionnelle, le Théâtrenciel (plus d’une trentaine de spectacles présentés partout en France et à l’étranger). Mon travail théâtral “par objets interposés” (dessins, peintures, marionnettes, masques, ombres par silhouettes découpées, assemblages de bois flottés, objets détournés, collages, films vidéo et récemment rouleaux d’images peintes) s’est toujours nourri de mon travail plastique. Autrement dit, je ne travaille sérieusement qu’en jouant. »
Roland Shön
SAUT PÉRILLEUX
Commettre un texte au sujet de l’œuvre Frasques en fresque que nous offre Roland Shön est un risque aussi grand que de marcher sur un fil incandescent au-dessus d’une mare aux canards infestée de crocodiles alors que nos pieds souffrent d’ampoules et nous assurent un équilibre plus qu’incertain.
Bien sûr, en tant que spécialistes avisés de l’histoire de l’art et des idées, nous pourrions dire qu’il y a dans le trait de Roland Shön un brin de plume et d’humour qui cousine avec celui de Saul Steinberg, que dans son univers plastique ses monstres pourraient parler la même langue indo-européenne que ceux qui hantent les tableaux de Pieter Brueghel. Nous pourrions ajouter que dans l’arrière plan de cette fresque de carnaval et de cirque, défilent en ombres chinoises des marionnettes sorties des pantomimes lumineuses d’Émile Reynaud qui se seraient accouplées dans l’obscurité des rues du quartier juif de Prague avec quelques spécimens du Golem décrits par Gustav Meyrink.
En assumant cet étalage superfétatoire de culture pseudo-encyclopédique, nous devrons également assumer la lâcheté d’avoir endossé l’habit de cuistre de service et de Trissotin pour mieux se défiler devant la difficulté du sujet à étudier. Car Roland Shön n’est pas un être simple et unique. Il est double, triple, quadruple et même certaines fois infini. Quand on pense pouvoir le cerner, il déguerpit comme un psychanalyste à qui l’on demanderait la recette du bonheur, il est un peu comme une truite de Schubert qui remue encore dans l’assiette alors que le pianiste est déjà rentré dormir chez lui. Curieuse image n’est-ce pas pour décrire notre désarroi devant une énigme sans espoir de résolution.
Disons simplement que Roland Shön fait sa révolution permanente, sans drapeau ni slogan, dans son théâtre d’âmes et ses réalisations plastiques, qu’il se donne pratiquement toutes les libertés de faire et de penser, manipulant traits d’humour et masques métaphysiques, décalage de mots et d’images, détournement d’objets et d’idées. Il nous fait entendre, avec ce défilé de créatures qu’on a envie de suivre jusqu’à la porte d’entrée du théâtre, la musique jubilatoire des clowns et la poésie grave qui se lit sur les lèvres du funambule avant qu’il ne se lance dans le vide. Et quand le rideau de la salle se lèvera, que la lumière sera, Roland Shön lancé en l’air par je ne sais quel artifice de magicien capable de ridiculiser les lois de la pesanteur, retombera avec justesse après de multiples sauts périlleux sur ses pieds exactement là où on ne l’attendait pas.
Jean-Pierre Plundr