La mélancolie des dragons
Philippe Quesne
ven 12 févr 2016
Philippe Quesne
dans le cadre de Périphérique Arts mêlés
Avec trois fois rien, naissance d’un parc d’attraction
Nul besoin d’aller à Disneyland ! Le merveilleux est à portée de main. Dans La Mélancolie des dragons, pourtant, tout commence plutôt mal. Une panne de delco, une voiture et sa petite caravane, immobilisées sous la neige, dans un paysage champêtre : rien de très rock and roll ! C’est compter sans Philippe Quesne et sa bande d’acteurs-musiciens un peu foutraques. Avec trois fois rien (un projecteur, une machine à fumée et quelques perruques), les voilà qui inventent à vue un parc d’attraction minimal et multifonctions. Peu de mots, mais une partition faite de niveaux sonores, de lumière, de mouvements : l’esprit de Beckett n’est pas étranger à ce théâtre-paysage qui combine subtilement absurde et féérique.
- durée estimée du spectacle : 1h20
Un groupe de hard rockers mange des chips dans une Citroën AX à l’arrêt, radeau échoué au milieu d’un paysage de neige. Tout est calme, le temps s’est arrêté à cause d’une tête de delco défectueuse. Installés dans un état cotonneux, les dragons et un chien vont rencontrer leur Blanche-Neige et déployer pour elle un parc d’attraction minimal et multifonctions. Un projecteur, une machine à fumée, quelques perruques, Still loving you de Scorpions joué à la flûte à bec : le merveilleux peut naître de presque rien, à condition de se laisser embarquer dans un rêve commun. La mélancolie n’est pas seulement un spleen, elle peut aussi engendrer des images fécondes. Philippe Quesne travaille selon le principe du jeu de dominos : la dernière scène d’un spectacle donne la première scène du suivant, ouvrant un vaste champ de réflexion. Le début de La Mélancolie des dragons est né de la fin de L’Effet de Serge, pièce dans laquelle le personnage inventait de minuscules effets spéciaux dans son appartement. La compagnie de Philippe Quesne s’appelle Vivarium studio. Depuis son premier spectacle, La Démangeaison des ailes, il plonge ses acteurs dans un milieu et les regarde évoluer à la manière d’un entomologiste.
ENTRETIEN AVEC PHILIPPE QUESNE
Quel a été le point de départ de La mélancolie des dragons ?
« Le point de départ venait du titre et de la capacité d’activer le groupe, un peu comme une troupe. Ensuite les pièces naissent d’intuitions sur les thèmes. Je fonctionne aussi par jeu de dominos : le début de La mélancolie des dragons reprend la dernière minute de L’Effet de Serge. Ce jeu conceptuel d’écriture inscrit les pièces dans une saga avec des épisodes, j’adore les grandes fresques comme La Guerre des Etoiles. »
Vous faites référence au tableau de Dürer La Mélancolie ?
« J’ai toujours abordé la mélancolie de manière assez directe dans d’autres spectacles. Elle est très liée à l’artiste en panne de création : comment arriver à s’en emparer poétiquement et trouver son chemin. Le tableau de Dürer représente un individu entouré des éléments du savoir et qui pourtant se sent coincé. La mélancolie des dragons pose des questions similaires : comment faire un spectacle aujourd’hui ? Qu’est-ce que le merveilleux ? Pourquoi on n’y croit plus ? Que signifie un spectacle qui commence par des acteurs en panne dans une belle image de théâtre ? »
Votre défendez une vision du merveilleux très minimaliste…
« Je défends la notion d’amateurisme. Tout le monde peut s’inventer un parc d’attraction. Nous parlons aussi du théâtre, de la joie de la représentation, mais aussi de la menace sourde et de la part noire de l’humanité. J’ai aussi pensé aux monstres et aux démons des tableaux de Goya. »
Vous avez commencé comme scénographe, dans quelle mesure cela influence-t-il votre travail de metteur en scène ?
« J’aime à considérer la scène comme un paysage. L’espace nourrit beaucoup l’écriture mais pas seulement en tant qu’apport visuel. Par exemple la neige en coton crée un rapport au son particulier, un calme qui permet aux gens de se déplacer en silence et d’être dans un monde parallèle. Le principe de mon travail a toujours été de plonger des acteurs dans un milieu naturel. »
Justement, comment travaillez-vous avec les acteurs ? Vous les regardez vivre ?
« Nous essayons des actions, jamais des projections de personnages. Je m’empare de leur réalité et je vois comment cela produit des situations. Ils apportent à l’écriture le temps passé à les observer et leur croyance dans le groupe. Les premières années, nous étions invités dans les festivals de danse, ce qui pouvait paraître étrange, mais les pièces ont pu être décodées par le travail sur le corps et l’espace. Le mot n’est pas toujours utile, il peut être important mais le silence l’est aussi. Tout cela fait partie d’une partition qui est faite de niveaux sonores, de lumière, de mouvements, de mots. C’est très précis. Par exemple, Beckett est le maître absolu de la partition théâtrale et des relations dans l’espace, il impose une telle rigueur de composition ! »
création Vivarium Studio - conception, mise en scène et scénographie Philippe Quesne - avec Isabelle Angotti, Rodolphe Auté, Cyril Gomez-Mathieu, Sébastien Jacobs, Victor Lenoble, Émilien Tessier, Gaëtan Vourc’h