Jusque dans vos bras
Jean-Christophe Meurisse, Chiens de Navarre
tue 23 Jan – thu 25 Jan 2018
Jean-Christophe Meurisse, Chiens de Navarre
dans le cadre de Périphérique Arts mêlés
Avec les Chiens de Navarre, il faut s’attendre à tout ! Meute incontrôlable dirigée par le metteur en scène Jean‐Christophe Meurisse, le collectif termine sa résidence à L’apostrophe avec Jusque dans vos bras. Basé sur le travail collectif et l’improvisation, le processus de création fait la part belle aux acteurs. « Raconter des choses d’aujourd’hui avec des gens d’aujourd’hui en utilisant des mots d’aujourd’hui », voilà le credo du collectif, qui n’hésite pas à dynamiter codes et conventions, refuse catégoriquement la “bien‐pensance” et se plaît à repousser toujours plus loin les limites du politiquement correct. « On pourrait psychanalyser la France ! » s’est exclamé Jean‐Christophe Meurisse à la fin d’une représentation des Armoires Normandes, la précédente création des Chiens de Navarre (accueillie à L’apostrophe en 2015).
Ni une ni deux, voilà le collectif lancé pour son prochain opus. Psychanalyser la France ou plus précisément, psychanalyser les figures emblématiques de la France : Charles de Gaulle, Obélix, Robespierre, Napoléon… Ils passeront sur le divan ou se croiseront dans un hammam, pour palabrer sur les piliers de l’identité nationale. La colonisation, les conflits entre communautés, la culture et l’exception française… Le champ est vaste ! Réputés pour leur humour potache et leur férocité sans limite, les Chiens s’attaquent à un sujet brûlant d’actualité et ardemment politique. Si nos sociétés contemporaines occidentales traversent aujourd’hui une crise liée à l’identité nationale, ici, c’est sans nul doute le rire qui l’emportera.
ENTRETIEN AVEC JEAN-CHRISTOPHE MEURISSE
Avec Jusque dans vos bras, vous vous attaquez au sujet délicat de l’identité nationale à travers ce que serait l’identité française ? Pourquoi un tel sujet ?
Parce que c’est une urgence, une nécessité. C’est notre côté pessimiste. On n’est pas très loin de la guerre civile à cause de ces questions d’identité. On pense que les difficultés de notre pays sont la cause de l’autre, de l’étranger. Il y a une telle crise identitaire, c’est effrayant. Dire qu’en France il y a des cultures et non plus simplement une culture française fait grincer et créé des zones de tension irrationnelles et au fond un peu incompréhensibles. Qu’est-ce que c’est que cette fameuse culture française ? Elle n’a cessé d’évoluer et on ne le perçoit pas. Ce qui est classique car, d’un point de vue sociologique et historique, les choses avancent si lentement qu’on ne se rend pas compte des métamorphoses. Ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui, ces différences identitaires sont devenues des endroits de crispations, de clashs, de débats, de haines… Donc, nous avons décidé de l’interroger de manière naïve, il n’est pas question de prendre position. On voudrait savoir ce que c’est que cette fameuse identité nationale, cette identité française alors on va tenter d’explorer le passé, le présent, et même, avec peut-être un peu d’immodestie, nous serons visionnaires et imaginerons ce que ça pourrait donner dans le futur.
Comment très concrètement, l’idée vous est-elle apparue ?
À la sortie d’une représentation des Armoires Normandes, un des acteurs était placé sous une lampe et il recevait les spectateurs comme si il allait les psychanalyser. Tout d’un coup, cette idée m’est venue : on pourrait psychanalyser la France ! On a commencé à ricaner et on a poursuivi en imaginant la psychanalyse des figures qui ont construit la France, des grandes heures aux heures les plus sombres. Si on allait psychanalyser Charles de Gaulle, Obélix, Napoléon… C’était il y a deux ans. Voilà notre premier terrain vague.
Les répétitions ont débuté ?
Oui, et les choses ont évolué depuis. Parce qu’évidemment, le champ est vaste, les questions nombreuses : la colonisation, l’identité française, les conflits entre communautés, la (fameuse) culture et exception française… et la multiplicité infinie des regards. On peut être tout d’un coup dans les bureaux de l’OFRPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) avec un congolais, comme on peut assister à un cours d’œnologie un peu éméché. Ce spectacle sera une succession de tableaux. Je ne pense pas à une narration avec les mêmes personnages de bout en bout. Ça n’a jamais été le cas dans les travaux des Chiens de Navarre. Je réalise qu’à travers ce sujet, celui de l’identité, nous sommes face à la représentation de la crise que nous traversons, à cette folie. Le sujet étant délicat, nous ouvrons les répétitions au public de manière aléatoire, pour observer les réactions. On y va « piano-piano » parce que même si on se moque de ceux qui seront toujours du côté du bien-pensant mortifère, on ne voudrait surtout pas blesser des gens. C’est hyper important pour nous. Ce n’est pas du tout l’idée. Et l’on remarque que l’humour a des limites dans chacune des communautés. Les crispations arrivent vite. C’est aussi pour cette raison que c’est passionnant. C’est pour ça qu’il y a quelque chose qui ne va pas parce qu’on ne peut pas rire de tout. Une société où on ne peut plus rire, où on ne peut plus interroger, c’est une société qui va mal.
Le spectacle va être créé en plein air, à l’Odéon vous avez déjà pensé à la scénographie ?
Il est un peu tôt pour ça. Il n’y aura pas de structure de scène, c’est une chose certaine. L’espace au sol sera recouvert comme d’habitude. Nos scénographies sont toujours un peu abstraites. Il me serait difficile de raconter pourquoi il y a de la terre dans Quand je pense qu’on va vieillir ensemble… Pour le reste, j’aime l’idée que les gens découvrent l’espace.
On va retrouver l’équipe d’acteurs des Chiens de Navarre ?
Oui, en partie. Certaines figures historiques seront des nôtres, d’autres non. Des visages familiers, donc, mais également de nouveaux visages. Nous sommes une bande, nous sommes attachés les uns aux autres mais nous ne sommes pas fusionnels. Les nouveaux sont des acteurs que l’on a déjà pu voir jouer dans mon film, Apnée.
Propos recueillis par Géraldine Mercier
mise en scène Jean‐Christophe Meurisse - avec Caroline Binder, Céline Fuhrer, Matthias Jacquin, Charlotte Laemmel, Athaya Mokonzi, Cédric Moreau, Thomas Scimeca, Alexandre Steiger, Brahim Takioulllah, Maxence Tual, Adèle Zouane - collaboration artistique Amélie Philippe - régie générale et création lumière Stéphane Lebaleur - création et régie son Isabelle Fuchs - régie son Jean‐François Thomelin - régie plateau et construction Flavien Renaudon - décors François Gauthier‐Lafaye - création costumes Elisabeth Cerqueira - conception mannequin Carole Lallemand - direction de production Antoine Blesson - administration de production Emilie Leloup - chargé de production Léa Couqueberg - attaché d’administration et de production Allan Périé - assistés de Margot Guillerm - ©Lol Willems