Dans la solitude des champs de coton
Bernard-Marie Koltès, Roland Auzet
ven 21 avril – sam 22 avril 2017
Bernard-Marie Koltès, Roland Auzet
Dans la solitude des champs de coton est interprété par deux femmes. Choix singulier qui épaissit le mystère impénétrable de ce texte. Entre elles, le manque, le deal, le désir. Cette « chose » vague, indéterminée et énigmatique que l’une n’a pas, que l’autre promet. La langue somptueuse de Koltès, les voix belles et envoûtantes des comédiennes, leurs murmures, le glissement de leurs pas, le froissement de leurs vêtements parviennent dans le creux de nos oreilles grâce à des casques. C’est au plus près de l’intime que le spectateur approche ces deux solitudes qui, de l’espace public où elles se rencontrent, le conduisent dans le lieu du théâtre.
« Si vous marchez dehors, à cette heure et en ce lieu, c’est que vous désirez quelque chose que vous n’avez pas, et cette chose, moi, je peux vous la fournir » le dealer
“Selon notre héritage du regard de Bernard Marie Koltès sur le monde et s’il fallait caractériser l’état des choses, nous pourrions dire que nous en sommes aujourd’hui “après la Bacchanale”, “après l’orgie”, c’est à dire après le moment explosif de la modernité et celui de la libération dans tous les domaines. Alors, que faire ? A travers « La solitude des champs de coton », Koltès propose de réinvestir le questionnement de la relation à l’autre. Deux présences, différentes, où la question centrale du désir se joue, se marchande. Un dialogue de deux solitudes enfermées par la question sousjacente à tout échange : « Que me veux-tu ? ». Et d’obliger l’autre, par tous les moyens du discours, à se dévoiler, à répondre au manque fondamental, à cracher un peu de sa vérité… Chacun vit au piège qu’il tend à l’autre, dans une affinité sans fin, qui doit durer jusqu’à la fin de ses forces. Comme dit Baudrillard “Chacun veut son autre”. Dans l’impétueux besoin de le réduire à merci, et dans le vertige de le faire durer pour le « déguster ». Chez Koltès, les logiques opposées du supposé et du vraisemblable s’unissent dans une danse de mort qui n’est que pure jouissance de la fin de l’autre. Car le désir de l’autre est aussi toujours le désir de mettre fin à l’autre… le plus tard possible ? La seule question est de savoir qui tiendra mieux le coup, en occupant l’espace, la parole, le silence, l’intérieur de l’autre, dépossédé de lui-même au moment où il est sommé dans sa différence. On ne tue pas : on pousse l’adversaire à désirer, à exaucer sa propre mort symbolique.
Le monde de Koltès est un piège qui fonctionne parfaitement. Chacun entend parfaitement ce que l’autre dit ou veut dire et s’il n’y répond pas, ce n’est pas parce qu’il ne comprend pas, mais parce qu’il “refuse de faire le cadeau à l’autre de l’intelligibilité de sa pensée - ou de son désir”.”
Roland Auzet
texte aux Éditions de Minuit
La Muse en circuit - Act Opus Cie Roland Auzet - texte Bernard-Marie Koltès - musique et mise en scène Roland Auzet - avec Anne Alvaro, Audrey Bonnet - Collaborateurs artistiques Thierry Thieû Niang, Wilfried Wendling - créateur lumière Bernard Revel - costumes Nathalie Prats - scénographie sonore La Muse en Circuit, Centre national de création musicale - piano Sophie Agnel - informatique musicale Thomas Mirgaine, Augustin Muller - ingénieur du son Thomas Mirgaine - élaboration du dispositif sonore Camille Lézer, assisté de Pierre Brousses, Franck Gélie, Grégory Joubert - régie Générale Jean-Marc Beau - remerciements à Sinan Bökesoy, musique électronique et Sophie Agnel, piano - administration Vincent Estève - administration de production Morgan Ardit, Charlotte Weick - ©Christophe Raynaud de Lage